Cécile Lamy

[ Résidence labo septembre 2023 ]
Des mémoires se ravivent lors de la grimpe
les arbres logeaient les ancêtres humains
un souvenir inscrit dans les tissus
du temps où, avec leurs branches, ils ouvraient quantité de chemins
un houppier généreux en branches saisissables
des distances si souvent à la mesure des bras et des jambes
une résistance qui porte un corps aisément dans un large rayon de la structure
la main encercle les branches
la plante des pieds se courbe sur ses prises
des membres qui se déploient de toutes parts
des déplacements instinctifs
un corps qui dispose la grimpe
un autre qui grimpe
corps complices
l’arbre fait grimper
coévolution
réminiscences réciproques
porter l’autre en soi


« Pendant trois semaines j’ai côtoyé les arbres le long du sentier des Lauzes et autour du refuge. L’idée de cette résidence était de poursuivre un travail perceptif et relationnel avec les arbres. Je souhaitais aussi me concentrer sur mon travail d’écriture, jusque là resté en marge parmi les différents médiums que recouvre ma démarche artistique.
Pour moi, l’écriture est une façon d’aller au-delà de la représentation, cela me permet de raconter la relation qui se tisse avec chaque arbre « que je grimpe ». Elle m’amène à faire émerger des expériences sensorielles relevant en général de l’invisible et de l’insaisissable, qui se jouent dans ces rencontres interspécifiques.
Alors j’ai exploré, grimpé, observé et pris des notes du haut des cimes. Je les ai ensuite retravaillées dans le refuge, attentive aux sensations imprimées dans mon corps et imaginant en retour quelles traces mon passage laisse aux arbres. Peuvent-ils eux aussi avoir ces sensations fantômes ?

Finalement l’emploi du dessin s’est immiscé dans le processus et m’a servie d’outil perceptif. J’ai tracé les mouvements des arbres dans le vent pour mieux les sentir, pour accueillir autrement ces sensations et en mesurer les variations.
Le vent, acteur si présent dans la vie de l’arbre est devenu un élément essentiel. Que recouvre la relation entre un arbre et le vent ? Comment s’influencent-ils l’un l’autre ? Là encore, l’emploi du dessin m’a permis de préciser mes sensations et même de les prolonger : je trace ce que j’imagine être le dessin invisible qu’inscrivent les rameaux d’un arbre dans un courant aérien qui les traverse. Chaque essence bouge différemment avec le vent. Le pin, le chêne et le châtaigner dessinent chacun l’air à leur façon.
Cécile Lamy, Dessiner l’air – Pin, dessin au fusain sur papier, 100 x 100 cm, 2023. © Cécile Lamy 2023.


Pour la restitution des textes produits, j’avais envie de les énoncer et non de les donner à lire. Puis en échangeant avec l’équipe de l’association sur mon travail, il semblait qu’il serait peut-être intéressant de donner à voir « la grimpe » directement. J’ai alors élaboré une mise en scène dans la forêt pour laquelle les spectateurs étaient invités à s’installer aux pieds des arbres. J’y ai mêlé des lectures de textes, des performances de « grimpe » et de l’expression corporelle. Cette forme performative multi-disciplinaire était pour moi inédite et expérimentale.
En plus du discours oral, je déployais un vocabulaire gestuel qui ponctuait la prise de parole. Certaines images, certaines idées étaient ainsi retransmises par les mots et d’autres par le corps. Il s’agissait après tout d’un corps qui raconte sa rencontre avec un autre corps. Le langage corporel est un de nos communs avec les arbres. Il y a quelque chose de spontané dans l’expression corporelle pour parler de la rencontre avec les arbres et ce projet a aussi été l’occasion de donner de la place à cette forme d’expression.
Suite à ma présentation et aux retours qui m’ont été fait, il semblerait que je détienne peut-être l’embryon d’un projet de « spectacle »… alors une suite est à développer ! »
Cécile Lamy, 2023.


Pressions des pieds, des paumes, des doigts, des genoux, des flancs, du dos
équilibres
le poids traverse le corps
glisse d’un appui à l’autre
se suspendre à une branche
charger son corps dans une main
interférer par le toucher
résonances de contacts
aller-retours dans et hors
chercher à maintenir une station dans l’animation de l’arbre
les mouvements sont à l’intérieur et à l’extérieur
sans bouger cela se sent
l’arrêt crée une mince résistance aux mouvements
le corps qui s’engourdit
souvent une jambe
qu’une fourche retient
la jambe devient étrangère
son contact n’est plus reconnu
jambe de bois
bouger
rompre la position
fourmillements
l’arbre
tend force décharge presse allonge prend contracte retient tâtonne replie écrase frictionne rebondit balance circule secoue déchire comprime frémit contorsionne suspend souffle
le corps qui grimpe
aussi
Le texte en « italique & gras » en début et fin de page sont deux extraits du travail d’écriture de Cécile Lamy, ils ont été performés par l’artiste lors de sa restitution de résidence, le 1er octobre 2023.
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