Charline Meyer

Pièce façonnée pendant la résidence et émaillée exclusivement avec des minéraux récoltés. @ Charline Meyer, 2024.

 

[ Résidence labo mai et octobre 2024 ]

« Je suis céramiste. Je travaille autour du paysage.

 

Lors de ma résidence à l’atelier refuge, découpée en deux temps, l’un au printemps, l’autre à l’automne, j’ai cherché à expérimenter un autre dialogue avec les montagnes. J’habite ce paysage depuis une dizaine d’années. J’avais besoin de prendre du recul par rapport à ce tissage de contraintes et de relations personnelles. Je voulais porter mon attention au silence pour initier ce dialogue.

J’ai sillonné la vallée de la Drobie, en quête d’un substrat, cherchant à faire éclore de nouvelles images-paysages dans mon vocabulaire céramique, de nouveaux imaginaires.

 

C’est la marche qui m’a permis de rentrer dans le paysage et de le laisser entrer en moi. C’est à pied que j’ai décidé de partir, d’aller de mon atelier à l’atelier refuge, de versant à versant, de Saint André Lachamp à Saint Mélany pour m’enfoncer ainsi dans les montagnes.

 

Peu à peu, j’ai déposé sur les sentiers mes pensées, mes humeurs, le tumultueux langage du quotidien et me suis approchée de l’ambiance des lieux.

 

 

 
Vues de la vallée de la Drobie. © Charline Meyer, 2024.
 

 

Montagnes.
Des faces visibles, des faces cachées, des faces parcourues , qui se dévoilent. Les secrets des montagnes, emportés par les ruisseaux.

Journal de bord , 6 juin 2024

 

 

Au printemps, j’ai longé la Drobie et ses affluents. J’ai fait différents prélèvements de sables en amont et en aval de la rivière, à des points d’intérêt géologique et narratif. Je cherchais à imaginer les rencontres faites en chemin, entre schistes et granites.

 

Le potier, pendant des millénaires, a fait avec ce qu’il avait autour de lui. C’était avant que les matériaux ne soient standardisés et industrialisés.
Cela fait quelques années que j’ai choisi de revenir à des essentiels dans mon métier. Je me suis mise à intégrer de plus en plus de minéraux et roches de récolte dans mes argiles, engobes et émaux. C’est un lent et laborieux travail de recherche. Après la cueillette des roches, vient le temps du concassage, du broyage, des essais par mélange de minéraux, de multiples cuissons à haute température et de nouveaux essais. Cette recherche, je l’ai menée entre mes deux temps de résidence, dans mon atelier.

 

Sables collectés dans le lit de la Drobie cuits à 1260°C dans des coupelles ou mélangés à l’argile et façonnés en bols. © Charline Meyer, 2024.

 

Parfois, la fusion des matières entre elles donnent des résultats exaltants. J’ai eu la chance, pendant cette résidence, de me créer une toute petite palette d’émaux allant du marron glacé au vert d’eau et qui me servira à émailler quelques pièces à venir.

 

Je vois dans cette palette, dans cette fusion des minéraux, comme un mélange, un brassage des forces vives de la vallée, charriées par les ruisseaux, se rejoignant dans le même lit, celui de la Drobie. Les légères variations entre les sables montrent les particularités de chacune d’elles mais l’ensemble cohérent rappelle le langage commun de ces montagnes.

 

Cartographie des collectes le long de la Drobie ; cailloux, sables et sables cuits (détail). Présentation lors de la sortie de résidence le1er octobre 2024. Charline Meyer © Françoise Roumy, Sur le sentier des lauzes, 2024.

 

Recherche d’émaux à partir de minéraux récoltés dans le lit de la Drobie. Présentation lors de la sortie de résidence le1er octobre 2024. Charline Meyer, © Françoise Roumy, Sur le sentier des lauzes, 2024.

 

 

A la croix de la Femme Morte, là où la Drobie prend sa source, j’ai cherché vainement l’eau qui affleure. J’étais au bon endroit, dans le lit du ruisseau, à sec. J’ai alors été surprise et émerveillée par l’agencement des schistes, pointant tous la même direction : la mer, dans un ballet minéral et aquatique.

 

J’ai, peu à peu, éprouvé l’épaisseur des lieux, ce qui est là, ce qui a existé, ce qui perdure, ce qui disparaît, ce qui n’est plus. Le mouvement et l’apparente immobilité.

 

Des pièces sont nées de ces rencontres, inspirées de l’épaisseur et sensualité du paysage, des strates, de la schistosité, des empilements de couches successives et de cette danse des éléments.

 

Série de pièces façonnées à l’atelier refuge, juin et octobre 2024. © Charline Meyer, 2024.

 

En octobre, pendant mon deuxième temps de résidence, cette danse des éléments s’est montrée frénétique, intense. Recluse au refuge, par un violent épisode cévenol, j’ai été prise, moi aussi, dans ce mouvement. Le bruit sourd des ruisselets transformés en torrents tumultueux, cette course folle de l’eau emportant et recrachant plus loin feuilles, branches, arbres, sables, cailloux et roches, le bruit de la pluie sur les vitres du refuge, sur le zinc des gouttières, celui des châtaignes tombant à tout va, ont donné un rythme et une cadence particulière aux pièces que j’ai façonnées.

 

Quand les montagnes dansent, d’Olivier Remaud m’accompagnait alors.

 

« L’orage fait parler la montagne, il révèle son intériorité complexe, chaotique et charnelle. Il la retourne comme un gant et nous place au cœur des éléments. Il nous montre son tumulte et exalte nos sens. Un orage de montagne ne crée pas seulement une sorte d’accord physiologique intérieur. Il tisse entre le corps et le lieu une surprenante relation de réciprocité. Grâce à l’orage, on entre dans le massif et celui-ci déborde en nous. Animés d’une vie nouvelle, nous sommes renvoyés à l’essentiel, aux arbres, aux roches, à la flore des périodes glaciaires, aux animaux eux-mêmes mouillés, à la pluie. Ce type de rencontre intime avec la montagne se passe de mots. L’expérience est si intense qu’elle demeure longtemps enfouie dans les courbatures de nos souvenirs. Puis elle rejaillit, aussi vive qu’insistante, et exige d’être racontée.

Un orage en montagne nous rappelle combien nous appartenons à ses temps épais. Les géologues savent que l’eau est le mouvement actif de la Terre et qu’elle véhicule une mémoire longue qui unit les sous-sols à l’atmosphère. L’eau déplace et dépose, elle charrie tout. Elle assemble et rassemble les formes de vie. Sinon, le calcaire ne serait pas «un épais cimetière de minéraux qui sont devenus des animaux aujourd’hui redevenus des roches». Imaginons que l’eau vienne à manquer un jour sur la Terre. Plus personne ne danserait. Il n’y aurait plus de vie. »

 

Olivier Remaud, Quand les montagnes dansent, Acte Sud, 2023, collection Mondes Sauvages, pages 126 et 127″

 

 

Charline Meyer, janvier 2025

 

 

CHARLINE MEYER


Événements

[ Rencontre Labo ] Charline Meyer

> Médiations / Rencontres | > Résidence Labo | Arts plastiques

20 octobre 2024, 11h

Saint-Mélany

[ Rencontre Labo ] Charline Meyer

Sensible à l’éloquence d’un paysage et à la délicatesse de ses plus petits détails, Charline Meyer regarde, ramasse, s’imprègne et transpose ces rencontres dans l’argile. Chacune de ses céramiques est née d’un regard posé sur les bords de rivière, au détour d’un sentier de montagne ou encore au creux d’un châtaignier. Elles témoignent d’un attachement…

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