Guilain Roussel
“Quel meilleur endroit que la Vallée de la Drobie pour réfléchir au rapport de l’homme au végétal qu’il ne plante pas ? Aubervilliers, un territoire intégralement conquis par l’urbanisation où le végétal tente de se faufiler et de subsister tandis qu’à l’autre bout : St Mélany, territoire anciennement intégralement anthropisé reconquis par le végétal où l’humain tente de subsister.
J’aimerais que l’objet de la résidence soit de raconter ce conte du végétal sur une terre imaginaire.” GR.
[ Résidence Labo mai 2010 ]
Guilain Roussel est paysagiste DPLG diplomé de l’École nationale supérieure du paysage de Versailles, où il a réalisé son travail personnel de fin d’étude sur le développement de jardins dans un plan d’ensemble d’Aubervilliers. Il est co-fondateur de PG4, un collectif de jeunes paysagistes engagés dans des projets culturels et paysagers revendiquant une attention particulière au travail de terrain et à l’écoute des usagers. Il est par ailleurs président de l’association Frères Poussière, basée au centre ville d’Aubervilliers, qui mène un ensemble d’actions sociales et culturelles autour de la réhabilitation d’un ancien théâtre. Il collabore à partir de 2011 avec Marjetica Potrč et RozO Architectes sur le projet La Semeuse, aux Laboratoires d’Aubervilliers où il anime des ateliers pédagogiques autour de la sensibilisation aux plantes, aux cycles de matière et aux écosystèmes.
« Je travaille sur les plantes immigrées, exogènes, réfugiées parfois combattues car généralement symbole d’abandon, de non-projet. Les marges de la ville / de la société, elles, acceptent ces plantes au même titre que les populations moins fortunées, les travailleurs, les ferrailleurs, les artistes, les marchands importateurs, les hangars et les voies de garage.
Ils sont là car l’espace n’est pas cher. Ils sont les travailleurs dans l’ombre de la cité, indispensables à son fonctionnement.
Pourtant la ville avance, fait des projets. S’en suit comme depuis toujours des glissements de populations vers des marges plus éloignées. La ville civilisée n’accepte pas l’alternatif, elle n’aime pas le blanc de la carte : c’est un non-lieu. Il est synonyme de précarité, d’insécurité. Pourtant, la ville a besoin de la marge pour ne pas se scléroser, pour rester créative, riche et diversifiée.
A Aubervilliers, on est en situation de faubourgs populaires, dernières banlieues rouges, largement stigmatisés par l’immigration. Car étant marge, le territoire d’Aubervilliers, La Courneuve a accueilli les travailleurs immigrés successivement germaniques, espagnols, italiens et portugais, africains, maghrébins et asiatiques. Les premières installations se font dans des habitats de fortune, des bidonvilles qui seront rasés et à la place desquels ont construira, sans véritable plan urbain, des grands ensembles d’habitations. Le 93 véhicule cette image d’un territoire déshérité, insalubre, dangereux.
Pourtant j’y ai découvert une richesse incroyable à travers le projet de réhabilitation d’un ancien théâtre que j’ai mené avec mon association en parallèle des 4 ans passés à l’école. Il y a de la vie. Il y a même quelque chose de très fort, de complexe et de riche. Ça ne paye vraiment pas de mine mais on y trouve une incroyable solidarité humaine, un microcosme du monde entier tellement peu valorisé.
Tout cela peut être balayé au fur et à mesure. Car le territoire devient attractif, (Projet urbain) le métro arrive avec les sièges de grandes entreprises. « ICADE investit » : un centre commercial de plusieurs millions d’euros est en construction à la porte d’Aubervilliers. Ce qui se cache derrière une architecture d’inspiration industrielle s’appelle Le Quartier commercial. Il ne faut pas se faire d’illusion, les investissements sont tournés vers la capitale et non vers Aubervilliers. C’est une énième opération déconnectée d’une vie de quartier, tout ça très bien vendu par une vidéo images de synthèses vantant les bienfaits écologiques d’une telle opération.
Je suis interpellé par ces non-projets de territoire. Je ne veux pas être paysagiste pour faire des projets qui excluent, qui visent à préparer le terrain pour des choses bien comme il faut et tout cela sous couvert de développement durable.
Mon projet espère valoriser la force humaine et végétale de ce territoire.
« C’est un néflier d’Italie », me dis Maria Proenca, future ancienne propriétaire de la petite maison.
Surprise! Car je pensais à un néflier commun, celui qui produit ces fruits bruns que l’on consomme blettes. En effet, elle me les montre et là les fruits récoltés sont oranges, charnus et acidulés. En rentrant, je fais quelques recherches pour lui trouver son nom. Néflier d’Italie? D’Espagne? …du Portugal peut être? Pas de trace de mon néflier… en fait il vient de beaucoup plus loin puisqu’il vient d’extrême Orient, c’est un néflier du Japon : Eriobotrya japonica. Originaire de Chine, Japon et Taïwan, sa culture est très répandue dans le bassin méditerranéen ainsi qu’en Amérique du Nord.
Pour cette femme d’une soixantaine d’années originaire du Portugal, cet arbre était italien. Il est part entière de sa culture méridionale. Il fait partie d’elle même et elle l’a planté au cœur de la petite cour. Il est accompagné de la vigne, du laurier sauce, de la bignogne ainsi qu’un bananier, un olivier et un citronnier tout 3 en pots.
Mon néflier, on peut quasiment le suivre à la trace dans la ville et certainement même dans toute la banlieue parisienne.
Aubervilliers possède un héritage végétal fort. Ses migrants sont venus avec leurs végétaux dans les poches et les emprises industrielles y ont mené le cortèges des vagabondes étrangères : buddleias et ailanthes sont comme acceptés, ils ne coûtent rien et produisent un bel effet. Ils sont par ailleurs d’une venue inespérée face à un sujet de pépinière.
La société des arbres : En observant les arbres dans la ville, je me suis mis à imaginer leur voyage. Comment ont-ils fait pour arriver là? Planté dans ce jardin, échoué sur ce talus ou accroché à cette façade?
Au bord de ce parking, ces sophoras qui ont drageonné se font raboter radicalement tous les ans alors que le long de la friche d’à côté les érables et ailanthes poussent librement. Quant à lui, le laurier palme au milieu de la pelouse tondue de la rocade de sortie est méticuleusement maintenu en boule.
On peut dire qu’il sont respectivement esclaves, libres et en liberté conditionnelle. Les sophoras doivent regarder avec envie la fougue des jeunes érables jeunes de la parcelle voisine. Auraient-ils le statut d’êtres suprêmes? On a bien commenté des comportement de timidité entre sujets du même age et de la même espèce, des comportements de folie ou de prédation (je proposerait à ce sujet que nous regardions le poétique « Arbres, le voyage immobile » de Sophie Bruneau & Marc-Antoine Roudil)
De là, née l’idée d’écrire une histoire de ces végétaux. Un conte qui permettrait de leur faire acquérir un statut de respectabilité suffisant pour qu’on les regarde autrement, qu’on les prenne en compte et qu’on sache aussi les utiliser à bon escient. Un conte qui permettrai d’écrire la légende d’une cité où cohabitent et interagissent avec humanité des êtres venus d’ailleurs. Finalement peut être une nouvelle légende urbaine….
Quel meilleur endroit que la Vallée de la Drobie pour réfléchir au rapport de l’homme au végétal qu’il ne plante pas?
Aubervilliers, un territoire intégralement conquis par l’urbanisation où le végétal tente de se faufiler et de subsister tandis qu’à l’autre bout : St Mélany, territoire anciennement intégralement anthropisé reconquis par le végétal où l’humain tente de subsister.
J’aimerais que l’objet de la résidence soit de raconter ce conte du végétal sur une terre imaginaire.
Pourquoi les professions de l’aménagement n’oublieraient-elles pas leur vieille phytoxénophobie issue de leur enseignement horticole pour adopter une posture différente, comme à l’aïkido : utiliser la force de celui qui est vu comme adversaire en la dirigeant plutôt que de s’y opposer?
Quand allons-nous arrêter de vouloir contrôler le végétal à tout prix?
Comment favoriser puis conduire une végétation spontanée?
Comment l’utiliser dans la mise en œuvre d’espaces publics, de jardins communs ou d’oasis de cœur d’îlots?
Au jardin partagé, un homme étranger qui marchait le long de la clôture s’est arrêté, il s’est approché et il a regardé le pied de tomates. Il a regardé la terre. Ses yeux étaient ailleurs. Il voyageait. Il n’a pas parlé mais il était heureux. La pratique du jardin… le végétal est universel. Je pense qu’on peut y trouver une réponse pertinente dans un territoire aussi cosmopolite qu’Aubervilliers. »
Guilain Roussel, 2010.