Jean-Baptiste Née

Jean-Baptiste Née, l’un des Monts analogues, sortie de résidence Sur le sentier des lauzes, mai 2024. Photo © Anouck Durand-Gasselin

 

[ Résidence labo avril et mai 2024 ]

 

« Ma résidence au Sentier des Lauzes avait pour objectif d’expérimenter deux pratiques in situ :

1. peindre à l’encre de Chine sur de la toile disposée directement sur un sol rocheux

2. travailler de nuit à la gouache noire sur papier, sans lumière artificielle

 

1. Deux séries d’œuvres réalisées à même le sol se sont imposées : l’une intitulée Monts analogues tissant ensemble empreinte des roches et figuration du visible, et l’autre intitulée Sentier, série abstraite consistant en un relevé du terrain du Sentier des Lauzes lui-même. Ces deux séries sont à comprendre comme une réponse littérale au vœu formulé par Merleau-Ponty dans L’Œil et l’Esprit de se replacer « dans un « il y a » préalable, dans le site, sur le sol du monde sensible ».
Je commence chaque nouvelle empreinte en enduisant la toile d’une colle naturelle et en épousant au mieux le relief complexe, méticuleusement. La toile doit adhérer aux différentes faces des roches pour pouvoir ensuite en relever le dessin, en révéler la matière.

 

 

Les Monts analogues s’inscrivent dans le prolongement de mon travail d’une figuration à laquelle participe la nature elle-même. La série donne un écho tellurique aux impacts de la pluie, de la neige ou du gel qui ponctuent souvent mes peintures depuis le ciel. Les accidents sont ici ceux du terrain. Il s’agit de prendre une empreinte vibrante du site qui se mêle à sa représentation et la soutienne, « par dessous », comme un rythme soutient une mélodie. Le relief des roches apparaît, révélé par l’encre. En épousant le sol complexe, le tissu forme des plis comme autant d’imprévus échappant à mon intentionnalité. Le jeu analogique – habituel dans mon travail entre le monde extérieur et le monde intérieur – est ici renforcé par une analogie supplémentaire entre le sujet et le support lui-même, autre relief, autre échelle. Le rocher sur lequel j’étends la toile devient une montagne miniature que gravissent les insectes. L’œuvre doit faire tenir ensemble deux réalités différentes par un jeu de correspondances : à tel affleurement rocheux sur le versant qui me fait face correspond tel creux de mon support ; à telle crête de la montagne correspond telle brisure de la roche qu’épouse le tissu ; à telle zone de pierrier vibrant sous la lumière correspond la granulosité de la pierre sous la toile. Je dois composer avec ces deux formes à priori incompatibles, mais desquelles petit à petit se dégagent les corrélations. Les choix du site, la disposition du tissu sur la roche, le cadrage, ainsi que la peinture à proprement parler canalisent la mise en relation du sujet et du support. L’éxecution consiste en un exercice de balance entre lâcher-prise et opiniâtreté : je dois trouver une voie médiane guidée par la cohérence des sensations et par l’intuition.

 

 

 

 

 

 

 

La série Sentier est le premier travail abstrait que je présente. C’est la toile elle-même qui est traversée par le monde et non plus le peintre. C’est donc ici une position de retrait qui s’est imposée, comme une manière pour moi de laisser de la place aux hommes et aux femmes qui ont aménagé et entretenu à travers les âges ces chemins de montagne qui nous permettent d’accéder aux lieux les plus reculés dans l’espace et dans le temps. J’ai choisi un format allongé pour ces empreintes qui épousent la largeur du chemin, se singularisent au sein de ma production, et mettent le spectateur sur la piste — si j’ose dire — du sentier de montagne vu comme un trait d’union entre le monde humain et ce que j’appelle le monde « nu », c’est à dire les éléments bruts que sont l’eau, l’air et la terre, parfois même le feu magmatique qui produit les roches. Jusqu’à présent, j’ai toujours tenu les ouvrages humains à l’écart de mon travail, refusant systématiquement d’avoir à les traiter (maisons, routes, villes, etc). Il est curieux d’observer qu’ici la main de l’homme trouve pour la première fois sa place dans mon travail, alors même que je me retire de la figuration. Sans doute cela est-il possible car le sentier est une proto-construction humaine, un aménagement encore très ancré dans le monde naturel lui-même, et justement pas une production d’objet « hors-sol ». Malgré le protocole abstrait qui préside à leur production, les empreintes du chemin qui composent la série évoquent des formes cosmiques, aqueuses, gazeuzes ou telluriques, qui témoignent de l’inscription du sentier comme lien vers le monde le plus élémentaire.

 

 

 

2. La série Nuit, lueurs est réalisée dans la nature longtemps après le coucher du soleil, sans l’aide de lumière artificielle. Le fonctionnement optique des cônes laissant place à celui des bâtonnets, mon œil ne perçoit plus alors que des zones lumineuses aux contours imprécis et je ne me rends plus compte des petits accidents qui surviennent sur le papier (éclats, gouttes, coulures, petits interstices, traces des touches, etc).
C’est donc un moyen pour moi de concentrer l’enjeu de la session autour de la justesse de la perception des contrastes et non du contrôle des détails. En m’empêchant le contrôle, et l’éventuelle censure de ces traces involontaires, apparaît la spontanéité de mes gestes dans leur nécessité. Être privé d’une partie de ma vue charge mon ouïe d’une perception accrue qui intensifie la présence des végétaux agités par le vent et les bruits d’animaux, donnant aux sessions un caractère très immersif. Un état d’alerte, de présence intense dans l’instant. »

 

 

Jean-Baptiste Née, 2024.

 

 

Photos et videos (hors la première de la page) © Jean-Baptiste Née, ADAGP, Paris, 2024.

 

 

JEAN-BAPTISTE NEE

 


Événements

[ Rencontre Labo ] Jean-Baptiste Née

> Médiations / Rencontres | > Résidence Labo | Arts plastiques

5 mai 2024

Saint-Mélany

[ Rencontre Labo ] Jean-Baptiste Née

Peintre, scénographe et plasticien, Jean‑Baptiste Née travaille in situ en montagne et haute montagne au cours de séjours de plusieurs semaines ou plusieurs mois en immersion. Il dessine au contact direct de la nature et laisse une place essentielle à l’action des éléments : la pluie, la neige, le gel participent à l’élaboration de l’œuvre. Il établit…

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