Nadia Ehrmann

[ Résidence labo septembre 2024 ] Lauzalia
« Je fabrique mes propres outils pour peindre et dessiner, à partir d’éléments naturels récoltés lors de promenades et de randonnées, et de chambre à air usagée. Lors de la résidence labo, j’ai voulu approfondir ce travail de fabrication d’outils entre design, artisanat et sculpture. Je souhaitais en élargir le périmètre, le détacher de sa fonction utilitaire, afin d’évoluer vers un travail de sculpture autonome. J’ai pu expérimenter et ouvrir de nouvelles pistes, stimulées par la beauté du lieu et la richesse des matières trouvées sur place.

Tout commence par l’observation, l’écoute, la marche, et un petit carnet. Ouverture maximale des capteurs sensoriels pour s’imprégner du paysage, établir une connexion en profondeur avec le territoire où je me trouve.

Pendant les jours de pluie à l’atelier-refuge, installée au sec derrière la baie vitrée, j’ai fait un petit carnet dédié.
Lorsque je conçois des outils, j’essaie d’avoir une intervention peu agressive sur la matière : pas de colle, pas de perçage, je coupe et je lie, parfois je taille ou je gratte. Il s’agit de combiner des formes, des textures, des couleurs, avec simplicité et précision. J’ai, dans un premier temps de recherche, creusé ce sillon de l’économie du geste, et réduit celui-ci au maximum, le limitant à sélectionner et assembler, sans attacher, deux à trois éléments. C’est ainsi que s’est formée une série éphémère de compositions en volume, des micro-paysages, des petites comètes.
La résidence est située dans un petit paradis du caillou. Des éclats rocheux partout, beiges, fauves, gris mouchetés, oranges en dégradé, brun-gris, gris-rosé, rose laiteux, ocre suave, reflets argentés. Scintillants, mats, rugueux, iridescents. Ronds, coupants, sonores. Ils crissent sous les pas, attrapent le regard, des étincelles partout, à l’ombre des châtaigniers. C’était une évidence de mettre en lumière toute cette beauté dans des objets.
Une des caractéristiques de mes outils est de révéler les détails, la diversité et la singularité des matières qui les composent ; j’ai donc mis la pierre à l’honneur dans une série d’objets. Je me suis concentrée sur la sélection des composants, leur assemblage, le jeu des formes, des proportions et des teintes, pour créer des objets aux airs d’outils, aux usages imaginaires. J’ai aussi porté une attention particulière à la façon d’attacher les éléments entre eux, faisant de la chambre à air un élément graphique, une matière à part entière.
Il n’y a pas que les jolies pierres, il y a les petites choses aussi, auxquelles on ne prête pas forcément attention. Un bout d’écorce, une tige à la courbe élégante, des épines de pin, un éclat de bois brûlé… Des morceaux de nature ordinaires, sélectionnés avec soin, et assemblés pour créer des formes nouvelles. La référence à l’outil se fait plus lointaine et laisse place à des objets hybrides. Je commence à explorer l’horizontalité aussi. La chambre à air est utilisée comme élément graphique, contrepoint plastique, participant pleinement aux jeux de formes et de textures de ces petites sculptures minimalistes.
Nadia Ehrmann, Lauzalia (installation), Saint-Mélany, 2024. © Nadia Ehrmann, 2024
J’ai conçu une installation, sur la terrasse en bois en contrebas de l’atelier-refuge, afin de changer de dimensions et d’intégrer la notion d’espace à ma pratique centrée sur l’objet. La collection d’objets façonnée lors de la résidence y est en partie intégrée.
L’arbre devient lui-même outil, le plateau terrain de jeu, espace de fiction. Les objets sont ainsi dotés d’un contexte qui active l’imaginaire et crée une expérience ambiguë : se trouve-t-on dans les vestiges d’un campement survivaliste, d’un lieu de culte inconnu, d’une forteresse, d’une île hors du temps ? Les objets sont-ils des outils, des jouets, des armes, des instruments de plaisir, des véhicules mystiques ? Bienvenue à Lauzalia.

À l’occasion des portes ouvertes des ateliers d’artistes d’Occitanie, j’ai proposé une restitution de résidence dans mon atelier toulousain. Les pseudo-outils et objets hybrides y étaient assemblés dans une composition murale qui jouait des formes et des contreformes, des lignes et des masses, des variations de textures. L’utilisation de la chambre à air s’est étendue, débordant des objets pour se faire ligne, courbe, dessin au mur. L’accrochage a amené une dimension supplémentaire à la collection d’objets, dans la continuité de l’installation in situ, mais sous une autre forme. Il rappelle la présentation d’objets dans certains musées, et ouvre ainsi un espace de fiction, dont mes sculptures seraient les traces, les vestiges. Des vestiges qui évoquent des imaginaires de la préhistoire ou d’un futur survivaliste, mais aussi le territoire de l’enfance et de ses jeux. »
Nadia Ehrmann, 2025.