Raffaëlle Bloch

Magie Noire, 3’20, 2016

 

Ciné-poème #1, 2’24, 2016

 

Ciné-poème #2, 3’16, 2016

 

Ciné-poème #3, 2’58, 2016

 

Un inventaire, 3’18, 2016

 

Le Liban est triste, 5’29, 2016

 

[ Résidence Labo Avril-mai 2016 ]

 

En 2015, Raffaëlle Bloch a sollicité une résidence labo pour l’écriture et le montage d’un film qui s’appelle Fresh Memory. Le projet s’ancre dans sa relation à l’histoire Israël/Palestine où elle s’est rendue. Arrivée à l’atelier refuge en avril 2016, il se trouve que ce projet a déjà trouvé sa forme. Parisienne, elle est travaillée par l’actualité de Nuit Debout et assiste impuissante depuis St Mélany au développement du mouvement. Internet et téléphone réduit, elle décide alors de se tourner vers « l’ici et maintenant ». Pendant presque un mois elle va s’immerger dans la vie du pays. Elle nous offre « comme un cadeau » ces ciné-poèmes lors d’une soirée de restitution la veille de son départ.

 

« Notes de résidence
 
Je découvre les coins et recoins d’une carte qui s’est dépliée, je prend la mesure d’un territoire où des gens vivent. J’aperçois au fur et à mesure toujours davantage de traces humaines dans cette nature qui semble si vide d’humains aux premiers abords. Je prend conscience que le territoire est gonflé de partout, qu’il y a de gigantesques boursouflures de terre et de pierre sous mes pas, que les terrasses retiennent. J’ai l’impression parfois de marcher sur la Lune. 
 
J’essaye de vous faire un cadeau, comme on prépare une chanson à quelqu’un, comme on fabrique un gâteau.
Je colle, découpe, reprend des images, des mots, des sons et des musiques, d’une manière extraordinairement libre, en envoyant balader tout les concepts et préceptes qui m’ont formée. 
Je jongle avec des régimes d’images dont la qualité varie; belles images, images hasardeuses, pixelisées ou « propres ». Je les prends toutes car elles font toutes partie du Monde. La puissance des outils à notre portée ne se mesure pas à leur degré de noblesse.   
 
J’ajoute les bruits de la Nuit aux images du Jour, les Oiseaux du Matin aux Lumières de l’Après-Midi; je déforme et reconstruit La Vérité pour tenter d’en faire apparaître une autre. Je nomme les choses comme des personnalités célèbres parce qu’elles m’apparaissent ici toutes posées sur un socle d’or. 
 
Un alphabet s’est formé, infini et toujours à continuer, fait d’insectes, de bêtes de seconde zone, de lumières de phare dans la nuit; une grammaire qui s’est chargée de magie, du poids de la nuit et des journées solaires. 
Il n’y a pas beaucoup de gens qui passent par là, pas beaucoup de cinémas ni de cortèges militants…
Ces absences font apparaître la multitude de présences tout autour; bêtes, climats, volumes, humains, esprits…
Allez donc savoir si c’est vrai ou pas, ce qui importe c’est que ça a compté. 
Et il y a des manifestations, comment dire… non humaines, non palpables, incertaines et brumeuses, mais une brume du plus grand effet. 
Allez donc savoir si ce sont des histoires qu’on se raconte, des récits qui rassurent, qui repeuplent des zones trop vides ou bien si, vraiment, nous n’aurions pas complètement anéantis les sorciers et les sorcières.
Peut être que la fumée des bûchers n’a pas cessé de flotter dans l’air, peut être même que c’est à travers cette brume que nous pouvons voir et sentir vraiment.  C’est en tout cas une histoire de transformation, d’existences en devenir. 
 
En ce qui me concerne, faire ces petits films a été une forme de sorcellerie, à mon attention d’abord. Par certains procédés de manipulation de l’image, comme dans un chaudron, j’ai pu donner formes, couleurs et cadences à des tourments qu’on ne chasse pas comme ça. Non pas les objectiver, mais les charger de magie et de tendresse et les rendre ainsi agents d’une force centrifuge et donc libératrice. Un mouvement vers l’extérieur qui a eu pour effet de renforcer la vie du noyau, son dynamisme. 
 
J’ai autant utilisé la tristesse pour raconter des choses qu’utilisé mon travail pour la dissiper. 
J’ai fouillé dans mes archives pour faire discuter le sommeil feint d’un petit garçon avec la langueur de la chanteuse Fairouz ; je me suis imaginé que la sangsue danse, que les choses se meuvent bien qu’en réalité, c’est le vent qui les déplace. 
En réalité… 
 
Que peut-on faire d’une seule réalité ? Il faudra surtout qu’une fois emergées, ces réalités puissent encore se parler. Il faut fabriquer des ponts. 
Parce que la Séparation, cette distance entre les mondes, fabrique un sentiment de discontinuité compliqué. Comment croire que l’insecte, le paysan et les mouvements sociaux à Paris partagent le même monde ? Le partagent-ils d’ailleurs ? 
Oui et non. C’est en tout cas le oui qui m’intéresse. 
Coller des images c’est la possibilité de dé-séparer, de réinstaurer la coexistence de plusieurs mondes éloignés, s’ils ont jamais été plus proches. Mais ça ne suffit pas. Les moyens que l’on pourrait dire périphériques, ce qui se passe à côté de la création, les rencontres, avoir besoin d’un coup de main, avoir envie de montrer ce qu’on a fait, là surtout, peuvent surgir une continuité et la surprise. »
Raffaëlle Bloch, mai 2016