Les flutes des arbres rois
La naissance du projet
En 2004, l’association souhaitait renforcer le lien entre l’intervention artistique et la sauvegarde du patrimoine paysager de la vallée de la Drobie. Le site retenu est un symbole, où la trace de l’homme menace de s’effacer avec le temps. Le pont du Charnier, sur la commune de Saint-Mélany, est un ouvrage magnifique et fragile, menaçant de s’écrouler. L’association a imaginé qu’une intervention artistique pouvait être l’occasion d’attirer le regard, d’attirer l’attention, d’engager la réflexion et, ultérieurement, d’inviter les acteurs de ce territoire à passer à l’action.
La rencontre avec l’artiste
Le pont du Charnier est une œuvre en soi. Pour intervenir à proximité, l’association souhaitait inviter un artiste respectueux de ce patrimoine, qui sache intervenir avec délicatesse dans cet environnement fragile.
Après conseil auprès de ses différents partenaires (Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche, Conseil Général de l’Ardèche, association Art3 de Valence…), l’association a retenu l’artiste Erik SAMAKH qui vient d’achever une longue collaboration avec le centre d’art de Vassivière en Limousin. Cet artiste, résidant dans les Hautes-Alpes, intervient régulièrement en milieu naturel. Il travaille avec les technologies actuelles, à base de son et de lumière. Lors d’un premier séjour en décembre 2003 sur le sentier des lauzes, l’artiste a pu adapter son intervention aux contraintes locales. Sa proposition pour le pont du Charnier consiste à l’installation de flûtes solaires, objets sonores de sa fabrication, qui trouvent place aux abords du sentier menant au pont. Les flûtes, « accordées » aux bruits de la nature environnante, sensibles à l’intensité de la lumière comme à l’heure de la journée, forment un environnement sonore se mêlant au tintement du ruisseau de Pourcharesse.
L’installation de cette œuvre a été réalisée du 26 au 31 mars 2004 et a été retirée en mars 2005. L’artiste, accompagné par 2 assistants, est venu positionner les flûtes dans les arbres à l’aide d’une longue perche. Il a profité de sa résidence pour réaliser une conférence et travailler en atelier avec les enfants des écoles de la vallée de la Drobie.
L’œuvre : des flûtes solaires et sonores
Pour répondre à la commande de l’association Sur le sentier des lauzes, Erik Samakh a proposé une installation en deux parties, de chaque côté du ruisseau de Pourcharesse, obligeant ainsi le visiteur à franchir le pont du Charnier pour se rendre d’un versant à l’autre.
Côté hameau du Travers, l’artiste a implanté deux flûtes pour attirer et saluer le visiteur. Positionnées autour des ruines d’une ancienne bâtisse de schiste et de granit, les flûtes sont perchées au fait d’énormes châtaigniers. Les notes discrètes qui tombent des hautes branches s’ajoutent aux silhouettes torturées des arbres multiséculaires pour installer le visiteur dans une ambiance mystérieuse.
La majeure partie de l’installation se trouve de l’autre côté, sous le hameau du Charnier. Pour y parvenir, le visiteur doit donc descendre jusqu’au ruisseau encaissé de Pourcharesse, traverser l’étonnant pont de pierre ancré au granit et remonter sur l’autre versant, entre châtaigniers et chênes verts.
Alors qu’il progresse, le visiteur prend progressivement conscience que les bruits qui l’entourent ne proviennent pas tous du milieu naturel. Passée la zone d’influence sonore du ruisseau, derrière le bruit du vent, des oiseaux et des insectes, d’autres sons, entourent le visiteur. À peine audibles puis clairement présentes, les flûtes obligent le visiteur à tendre l’oreille, à décomposer les bruits de son environnement, à entendre les pierres qui roulent, les branches qui grincent, les feuilles qui bruissent, pour enfin distinguer, mêlées au chant des oiseaux, ces sons d’orgues, modulées par le soleil.
Levant alors les yeux, le visiteur tente désespérément de trouver la source de ces chants mystérieux et, ce faisant, il découvre la cime des arbres, de ces arbres emblématiques que sont les châtaigniers. Il aperçoit leurs hautes branches, blanchies par la maladie, symboles de l’abandon d’un territoire agricole qui retourne lentement à l’état naturel. Et puis, au milieu des branches mortes, suspendues à elles, d’étranges instruments composés d’un tuyau d’orgue surmonté d’une tête solaire, apparaissent soudain, tels des phasmes gigantesques.
S’il attend, s’allongeant dans la bruyère, le visiteur pourra profiter de ce concert délicat mêlant un chœur d’oiseaux, les voix des flûtes et le grondement du ruisseau… Et, alors que passe le soleil, les voix des flûtes évoluent, certaines flûtes s’atténuant, leur tonalité baissant pour atteindre des graves tout juste audibles, alors que d’autres se mettront soudain à émettre, sur des modulations sans cesse renouvelées…
Après l’œuvre…
Bien qu’éphémère, l’œuvre d’Erik Samakh résonne toujours dans l’esprit de ceux qui ont pu entendre ces flûtes enchantées sur le sentier. Cette intervention reste présente mentalement mais aussi physiquement puisque deux flûtes seraient encore perchées dans les châtaigniers et diffuseraient encore leur son magique et poétique aux passants.
Par ailleurs, Erik Samakh a conçu des petites boîtes en bois qui renferment des graines de Tijuca. Ces graines sont intégrées à un projet intitulé « Les Rêves de Tijuca », sorte de projet de développement durable et artistique. Le but de cette initiative est de replanter ces graines (rapportées du Brésil par l’artiste) afin de recréer des zones de biodiversité dans des espaces sinistrés (suite à la tempête de 1999 par exemple). Grâce à ces graines, une restructuration du paysage pourra être opérée. Elles permettront en outre d’attirer de multiples animaux (insectes butineurs, rongeurs, oiseaux…)
Sur le territoire de la vallée de la Drobie, l’installation sonore d’Erik Samakh a également permis la prise de conscience quant à la restauration du pont de Charnier qui demeure un élément important du patrimoine rural de cette région. Cette intervention artistique a donc donné une impulsion positive sur la mise en œuvre du travail de préservation à accomplir pour sa sauvegarde.
Presse
« Magicien du son, Erik Samakh est une sorte d’artiste chaman qui entretient un lien profond avec la nature, concepteur d’une forme d’écologie acoustique, il parvient avec talent à mettre en vibration un lieu. » Le Dauphiné Libéré