Jean-Sébastien Poncet

[ Résidence labo février et septembre 2023 ] Dé-nouer
« Depuis plusieurs années, je chemine avec une plante que l’on dit invasive. Cet attelage avec la renouée du Japon, je l’ai initié pour – cela peut sembler curieux – explorer une possible condition paysanne du design.

J’ai passé les 20 premières années de ma vie dans une ferme d’élevage laitier des monts du Lyonnais. Les paysages que je fréquentais, les objets qui les peuplaient, relevaient d’une forme de design particulier. Ce design des paysans s’attache à agencer des relations entre les êtres vivants de différentes espèces, humaines, non-humaines, vivantes ou non. Bien que je ne considère pas qu’agriculteurs et paysans soient synonymes, le premier étant pour moi un métier le suivant un mode de vie, il me paraissait impossible de revendiquer, explorer ou construire un design paysan sans en être. Pour rompre le sort d’une classe objet dont, selon Pierre Bourdieu, les contours ne seraient dessinés que depuis l’extérieur, il fallait un endroit pour faire l’expérience de cette manière d’habiter le monde. Il fallait une ferme.

J’ai choisi la « mauvaise herbe » pour m’aider à dessiner autrement celle ci. Ce choix me permettait de remettre en question le paradigme exclusif d’une agriculture qui voudrait que des plantes soient utiles et d’autres pas. Cela nous pousse à regarder le champs comme un champs de bataille où certains êtres vivants sont des ennemis contre lesquels nous serions en guerre. Cette manière de voir a largement contaminé nos esprits, au point que nous vivons aujourd’hui dans un régime de guerre au monde.
Se pose la question devenue difficile pour nous, modernes, de faire monde avec une terre qui comme une étoffe usée, s’est petit à petit à nos pieds, refusée. Il faudrait nous dit-on, renouer avec elle : faire sol commun. Mais comment faire ?Notamment dans des endroits comme celui où je vis, où les terres abimées par une activité industrielle, sont devenues suspectes sinon dangereuses. Comment faire aussi cause commune avec des êtres dont on ne veut pas, repoussants, ou de mauvaises réputation ; repoussés ?
J’ai engagé ce travail de recherche en design avec la renouée du Japon dans une fabrication de sol sur des friches urbaines. Cette pratique opportuniste propose littéralement de faire venir la terre du ciel. Là où la renouée pousse, nous allons avec des scientifiques, avec des habitants et nous cultivons des sols avec ce que la plante veut bien nous donner. Suivant un protocole régulier et précis, nous fauchons, séchons, foulons et compostons les tiges et les feuilles de cette plante généreuse.

Pendant 4 mois, la ferme a ouvert. De cette expérience j’ai une matière écrite, enregistrée, des outils que j’ai testés et conçus, des images photographiées, et d’autres que je n’ai pas mais qu’il faudrait dessiner… Matière brute dont je me suis employé à faire un tri, une mise en forme. Je suis venu à Saint-Mélany pour prendre le temps d’écrire et de dessiner pour jeter les bases d’un roman graphique de cette traversée.





Je suis venu une fois en février et une fois en septembre. A l’hiver, j’ai écrit des premier textes, structuré une approche. Quand je suis revenu à la fin de l’été, j’avais emmené les encres de renouée que je fabrique, et j’ai profité du voisinage d’une autre plante mal venue, le raisin d’Amérique pour étendre un peu ma palette. J’ai profité de l’atelier refuge pour dessiner un storyboard et de premières planches.
L’ouvrage a depuis reçu quelques remaniements. Il n’est pas encore fini, mais on devrait y arriver cette année… »
Jean-Sébastien Poncet, 2025
Dénouement, le livre, quelques pages de la maquette © Jean-Sébastien Poncet, 2023.